Il est vraisemblable que les œuvres que Magnelli a apportées avec lui à Paris lors de son voyage au printemps 1914 et qu’il a montrées à Apollinaire, se présentaient comme cette Apertura di piani + cestello (Ouverture de plans + panier) [1], gouache et huile sur carton épais, 62,7 cm x 44,6 cm qui, elle, est datée de 1915), qu’elles en étaient très proches et de la même veine.
Cette petite nature morte a été la possession d’Alberto Viviani, poète et écrivain futuriste. Elle semble avoir eu alors une notoriété singulière puisqu’elle est reproduite sur une page de Il Giornalino della Domenica (Florence, avril 1920) qui fait part de l’exposition d’art Piccolo mondo, ainsi que sur l’annonce d’une exposition, par « al Bragaglia », Rome (non datée). Elle illustre également une invitation à une conférence d’Alberto Viviani à Turin en juin 1939.
Parmi les éléments qui la composent, le « panier » est le seul objet facilement identifiable (il se retrouve, par ailleurs, dans plusieurs autres natures mortes datées de 1914). Les deux plans jaune et rouge peuvent s’interpréter comme le mur et le toit d’une maison, vue par une fenêtre devant laquelle se trouve le panier posé sur un guéridon noir : ces objets, formes rendues sans modelé et sans ombre, sont juxtaposés sur la toile sans qu’il existe entre eux un lien logique apparent (une vingtaine de tableaux de la même période présentent une composition très proche de celle-ci et sont constitués d’objets de même nature). Cependant, c’est la construction de l’œuvre (perspective niée, plan relevé du fond, respect des deux dimensions de la toile afin de construire un espace pictural continu) qui frappe et dans laquelle se trouve la nouveauté. « Un tableau doit être réalisé d’un coin à l’autre, il ne doit jamais y avoir un point négatif […] il n’y a pas de fond » et le fond devient forme « car il est intégré dans la forme même » [2]. Nouveauté à laquelle concourt également le choix des couleurs pures (les trois couleurs primaires auxquelles s’ajoutent deux de leurs complémentaires ainsi que le noir) et leur pose en à-plats impeccables et rigoureux qui exaltent la richesse chromatique. Toutefois, ces larges plages colorées ne se révèlent pas plates et uniformes, telles qu’elles sont apparues dans les œuvres des peintres des générations suivantes, mais elles sont animées par le travail de pose de la couleur au moyen de brosses de petit calibre. Ces brosses permettent de juxtaposer les touches de matière picturale et les touches, demeurées sensibles, perceptibles par l’épaisseur de leur matière même, accrochent la lumière et font ainsi vibrer et vivre la surface peinte.
Les à-plats sont délimités et affirmés par un élément graphique, le cerne noir, qui enserre les formes ainsi nettement définies, ce cerne devenu dès lors élément constitutif de la manière du peintre.
Évoquer ici l’œuvre de Matisse est légitime car c’est à Paris, où il séjourne au printemps 1914, que Magnelli découvre les travaux de son aîné dans leur réalité physique (il les connaissait jusque-là par leurs reproductions en noir et blanc). Grâce à Guillaume Apollinaire, il a l’occasion de se rendre chez le peintre, quai Saint-Michel, et d’y voir des tableaux : « … sur les murs de la salle à manger, j’avais vu des natures mortes, un portrait de femme. Et je me disais : Mais c’est exactement ce que tu cherches en ce moment ! Que Matisse travaillât dans le même sens que moi, ça me fit un coup. » [3]
Il peut aussi se situer vis-à-vis d’autres artistes, dont Braque et Picasso : « En face de ce qu’ils faisaient, je gardais mes idées, j’avais déjà, dans mes propres recherches, un passé, une œuvre, il ne me restait qu’à continuer. Ce que j’ai vu chez eux m’a confirmé : tu es dans la bonne voie. C’est pourquoi, à mon retour à Florence, je me suis obstiné dans les couleurs en aplats. Il n’y a pas eu de changement dans mon travail, mais l’assurance de la valeur de mes recherches. Je n’étais plus seul. » [4]