Paolo Baldacci, historien de l’art, est l’auteur de la découverte d’un tableau de 1914 dont seul le dessin était connu jusqu’alors : un grand dessin au crayon sur papier gris (1914, 45,4 x 31 cm), qui était conservé dans l’atelier du peintre à Meudon, et dont est issu le tableau. Il s’agit de L’homme au chapeau.
L’homme au chapeau prend sa place aux côtés de L’homme qui fume (daté par l’artiste de 1913-1914) et de Il fantino che ha vinto (le jockey vainqueur), Il fantino che ha perso (le jockey vaincu), L’uomo ubriaco (l’homme ivre), trois tableaux datés de 1914.
Ces cinq œuvres ont des dimensions identiques (100 x 75 cm). Leur composition, qui présente le torse d’un personnage vu de face, dans un espace restreint, leurs couleurs (couleurs vives tempérées de gris et de noir) et la pose de la peinture en plages de couleurs animées par de larges modulations — mis à part une partie du visage, dont le nez, pour L’homme au chapeau — sont très semblables également.
L’itinéraire de ce tableau est en lien avec le mouvement futuriste, d’après Paolo Baldacci : la chose la plus probable, pour reconstruire la première phase de l’histoire de ce tableau, est que Magnelli, qui s’était engagé à participer à la Seconda Esposizione Futurista di Lacerba en mai 1915 (exposition qui n’eut pas lieu parce que l’Italie entra en guerre en mai), fit cadeau de cette œuvre à un ami du milieu futuriste florentin (Soffici, Bruno Corra, Lucio Venna, Achille Lega … ?). Bruno Sanzin, qui en fut sûrement le propriétaire avant de le vendre à Guido Nobile en 1948 environ, l’aurait racheté à Florence dans les années 1940.
Dans le texte qui suit, Paolo Baldacci présente son étude de l’Homme au Chapeau.
« Le tableau que nous présentons a été identifié en 2017 dans une collection privée italienne [1], a été très probablement le premier exécuté par Magnelli à son retour à Florence en mai 1914, après environ deux mois passés dans la capitale française. Il constitue un élément très important pour la connaissance de la première phase “moderniste” du peintre (œuvres no 30/40 du Catalogue Raisonné, éditions XXe siècle, de Anne Maisonnier).
De ce sujet était jusqu’ici connu un dessin, signé et daté 1914 par Magnelli. La date et la signature avaient été probablement apposées ultérieurement par l’artiste, en mettant de l’ordre dans son atelier. L’analyse, par infrarouge ou à contre-jour du tableau, a révélé certaines variations au cours de la réalisation par rapport au dessin qui était reporté sur la toile. Cela confirme que le dessin était une première idée juste avant la peinture, dont l’authenticité a fait l’objet d’une vérification par l’analyse de la toile, de sa préparation et des pâtes chromatiques. [2]
Par rapport au tableau de mêmes dimensions intitulé L’homme qui fume, en général attribué à tort en 1913-1914, L’homme au chapeau représente la première phase d’élaboration iconographique d’un “personnage marionnette” caractérisé dans le visage par des éléments strictement géométriques, qui dans un premier temps apparaît bloqué dans les volumes immobiles et est ensuite mis en mouvement avec les désarticulations typiques de la marionnette, que l’on peut même retrouver dans cette dizaine d’œuvres initiales que nous avons indiquée.
Tant dans la première phase que dans les suivantes, la combinaison de deux influences très lointaines l’une de l’autre apparait très claire, mais qui toutes deux marquent profondément le parcours initial de Magnelli : celle de Alexander Archipenko et celle de Henri Matisse.
La découverte de cette œuvre modifie sensiblement notre connaissance des débuts modernistes de Magnelli après le voyage fondamental à Paris au printemps 1914 et impose une révision attentive de la chronologie de ses premiers travaux. » [3]
Ilaria Cicali, dans le catalogue paru à l’occasion de l’exposition Giorgio de Chirico au musée de l’Orangerie à Paris (16 septembre-14 décembre 2020), relie l’œuvre de Magnelli à son époque et la situe par rapport à celles de son contemporain Alexander Archipenko, Tête, 1913-1914 et Portrait de Mme Archipenko, 1914 :
« L’analyse de la sculpture d’Archipenko et du tableau de Magnelli fait ainsi apparaître des points de rapprochement précis entre ces deux œuvres, et ouvre la voie à toute une série d’autres comparaisons. Sur le Portrait de Mme Archipenko, une niche concave, aménagée à l’extrémité du socle circulaire et recouverte d’une feuille de métal brillant reflète les plans colorés constitutifs de la tête ; sur le tableau de Magnelli, une fonction analogue semble remplie par le panneau vert clair qui, à travers la transparence d’un nez correspondant peut-être à une plaque de verre insérée par Archipenko dans la version d’origine de sa Tête, se reflète à son tour sur le visage de l’homme et sur le revers de sa veste. Signalons, enfin, une intéressante coïncidence entre l’Homme au chapeau et une des premières sculptures-peintures d’Archipenko, la Femme à l’éventail (1914 ou peu après) aujourd’hui conservée au musée de Tel-Aviv et caractérisée par une gamme chromatique où dominent le rouge, le vert, le gris, le blanc et l’ocre : le visage ovoïdal réalisé par assemblage de plans, le nez droit, le contour net du chapeau sombre, le cou cylindrique couleur ocre et l’ombre verte visible sur la droite en font une sorte d’équivalent féminin en relief du modèle masculin de Magnelli. »